De luis Coréas à Cayenne
Nous partons le mercredi matin à marée haute après la pluie. Depuis quelques semaines nous nous faisons copieusement arroser de ces pluies tropicales qui commencent un peu à dégrader notre moral. Il faut dire que nous sommes pas mal remontés en latitude et à présent nous nous trouvons dans la zone perturbée de la zic près de l'équateur. C'est ici, que les alizés de l'hémisphère sud et ceux de l'hémisphère nord se rencontrent avec leur train de dépressions.
En quittant le ponton des pêcheurs, je ressens quelque chose de pas normal. Le moteur refuse de prendre ses tours. Ce n'est pas bien l'endroit pour faire des manœuvres car un fort courant descendant nous pousse vers la sortie. Je négocie le dernier méandre du fleuve et arrive derrière la digue qui nous protège du grand large. Là, je décide d'ancrer pour aller voir ce qui se passe sous le bateau. Mon intuition était bonne, des résidus de végétaux avaient eut la mauvaise idée de s'enrouler autour de l'arbre d'hélice. Deux, trois plongées en apnée ont réglé le problème et nous voila repartis pour notre future destination.
La première journée a été proche du bonheur avec un vent de
12 à 15 nœuds au bon plein. Marie Alice caracolait sous la douce houle et nous emportait gentiment entre 5 et 6 nœuds. Mais cela était trop beau pour durer. Pour la suite, Éole nous a carrément laissé tomber. Le lendemain, ce sont les pluies et les grains qui se sont succédés pour enfin, le dernier soir avant l'arrivée, retrouver des conditions agréables. Il était impératif pour nous d'arriver à l'étale de marée haute. Comme j'avais de l'avance, il a fallut freiner le bateau pour arriver à l'heure.
Le petit matin se lève et nous sommes en vue de Sao Luis. Tous les renseignements nautiques que j'avais pu glaner ici et là me prédisaient une arrivée rock and roll. De fait, ce n'était pas triste. Sur bâbord une barre qui déferle et les waypoints qui m'avait été communiqués par mon ami Luc me menaient droit dans un passage confus où un léger clapot arrivait de tous sens. Le fond remontait très vite et je commençais à stresser de plus en plus. Le sondeur s'affolait avec des remontées brutales du fond à seulement un mètre soixante. Par deux fois j'ai senti Marie- Alice talonner. Mais le vin était tiré, il fallait le boire. J'étais dans la passe, sûr de mes waypoints je n'avais pas d'autres solutions. Au dernier moment, un petit chalutier qui sortait m'a permis de comprendre les derniers mètres du chenal d'entée. Nous étions enfin dans la lagune à l'abri de la houle du grand large.
Nos amis ont un catamaran. Ici sur ce mouillage, c'est le coin des catas où ils s'échouent tous sur la plage. Pour les monocoques, c'est une autre musique. Nous avons des marnages de marée de 6 mètres et il faut donc trouver un trou d'au moins huit mètres de profondeur. Les indications que j'avais eues me donnaient une possibilité à proximité de deux vedettes militaires. Mais voila, un voilier y était déjà. En tournant autour de cet endroit, dès que je m'éloignais de plus de 20 mètres de ce voilier, le sondeur refusait de descendre à plus de 7 mètres. Au bout du cinquième tour, je décide de venir m'amarrer à couple le temps de trouver une meilleure place.
C'était un voilier Belge dont les propriétaires avaient confié la garde à un Brésilien. Ce dernier pris mes amarres et nous avons pu enfin couper le moteur.
Le premier travail fut de gonfler l'annexe afin d'aller à terre. Tout de suite, nous rejoignons le cata de Luc et Nelly pour aller à la pêche aux infos afin de trouver un meilleur endroit pour mouiller le bateau. Visiblement c'était le seul et unique de toute la baie. Il fallait donc que je m'en accommode. Le lendemain l'ami Belge partait donc je pourrais prendre sa place.
Après plusieurs manœuvres, j'ai quand même pu ancrer non loin de l'ami Belge pour passer la nuit. Mais quelle ne fut pas ma surprise lorsqu'en revenant de dîner nous retrouvons Marie- Alice couché sur le flan. Ce n'avait rien de dangereux pour le bateau mais très inconfortable pour dormir avec 40° de gîte. Bref après plusieurs tergiversations, au bout de deux jours, nous avons enfin pu caller la Belle Marie dans l'unique trou de la baie de Sao Luis. Ces mouillages bizarres sont assez impressionnants. Lorsque la mer revient j'ai quand même pu noter quatre nœuds et demi de courant. Heureusement mes deux ancres, une à l'avant et l'autre à l'arrière, se sont solidement plantées dans la vase et le bateau était bien ficelé.
Nous avons abandonné le bateau et la petite Crevette le temps d'une excursion au parc de Lancois. Ignacio, la personne qui gardait le bateau de Luc s'est occupé de Crevette tandis que Marie Alice nous a attendu bien sagement amarré solidement sur ses deux ancres.
Les 300 km qui nous séparaient de ce parc ont été fait avec le Bus. Ici au Brésil, des bus très confortables couvrent de grandes distances à des prix très raisonnables. C'est ainsi que le dimanche à midi nous sommes arrivés à Barrheireinas.
Le guide touristique en poche, nous sommes partis à la quête d'un restaurant et d'un hôtel. Nous avons trouvé une petite poussada et un excellent restaurant tenu par un Français.
A présent, il fallait s'enquérir des moyens afin de voir les fameuses dunes et lacs du parc de Lançois. Un film a été tourné il y a deux ans ici, ce qui a eut pour conséquence de lancer l'activité touristique. Comme je l'ai déjà dit, pour avoir vu pas mal de pays, je pense que les deux cancers de la planète sont le tourisme et la télé. Cet endroit n'échappe pas à la règle et dés que nous sommes sortis du bus quatre ou cinq personnes se présentant comme guides tournaient autour de nous comme des mouches autour d'un pot de confiture. Cela gâche un peu le plaisir. Visiblement les activités n'étaient pas très florissantes et les rabatteurs étaient très actifs. Nous avons opté pour deux balades. La première en 4X4 qui nous amenait au pied des dunes pour aller se baigner dans ces fameuses poches d'eau douce, et la seconde en avion pour mesurer l'étendue du parc.
Le matin, le Toyota BJ 40 de l'agence est venu nous chercher à l'hôtel. Nous partageons la benne aménagée en plateforme avec huit autres personnes. La piste qui nous mène aux dunes ne manque pas de charme. Deux kilomètres après notre départ, nous arrivons au fleuve qu'il faut traverser. Là, le chauffeur charge son 4X4 sur une grosse barque rustique. Malgré son moteur poussif l'embarcation de fortune réussit quand même à nous acheminer sur l'autre rive. De l'autre coté du fleuve, nous prenons une piste défoncée entrecoupée d'immenses trous d'eau. Le Toyota ne rechigne pas à la tache et nous emmène en cahotant. Nous traversons des villages de cabanes aux toits de palmes. Par deux fois nous passons sur des ponts de fortune pour traverser des petits bras de rivière. Finalement, au bout d'une heure, nous arrivons au pied d'une immense dune au blanc éclatant.
C'est le terminus du 4X4, il nous faut gravir ce mur de sable à pied. L'ascension a été moins dure qu'il n'y paraissait et arrivés en haut le paysage nous laissa sans voix. Devant nous un champ de dunes s'étirait jusqu'à l'horizon. Dans chaque cavité des lacs d'eaux douces se sont formés. C'est une véritable symphonie de couleurs que nous joue la nature. Les dégradés de bleu, de vert de l'eau de ces lacs et le blanc immaculé du sable font un contraste saisissant. Comme si cela n'avait pas suffit le ciel dont une partie était d'un bleu intense, a chargé de nuages noirs un autre coin pour finir d'ajouter une lumière surréaliste au tableau.
Le guide nous a amené au bord de ces étendues d'eau où nous avons pu goûter à la douceur et la fraîcheur de cette eau de pluie. Le reste de l'excursion s'est limité à la visite de plusieurs poches d'eau après quoi nous avons récupéré le véhicule pour rentrer au village.
L'après midi, nous avions choisi le petit tour en avion afin de mesurer l'étendue de cette curiosité géologique. Arrivés à la piste du petit aérodrome, un petit monomoteur de quatre places nous attendait. Le pilote nous a invités à nous encastrer dans les petites places de son avion. Après la check-list, il lance le moteur à plein régime frein serré. La carlingue vibre de toute part. Lorsqu'il lâche les freins, le petit avion s'élance de toute son énergie sur cette piste et décolle en vibrant de tous ses rivets. Les sensations sur ces petits zingues sont toujours plus impressionnantes que sur les avions de ligne.
Dès que nous prenons de la hauteur, nous pouvons apprécier une vue complètement différente. D'un coté la végétation a gagné sur les dunes. Arbustes et maquis colonisent certaines étendues. Nous remarquons les carrés de plantation de riz. Ici et là, des bosquets de palmiers agrémentent ce paysage. L'avion fait un virage sur l'aile et nous découvrons un phare magnifique. Puis, c'est l'entrée du fleuve sur la mer. Apparemment, à voir les déferlantes qui bordent cette entrée, il doit vraiment falloir connaître la passe pour pénétrer avec nos bateaux dans ce paradis. Un autre virage sur l'aile et nous découvrons l'immensité de ce champ de dunes aux couleurs surnaturelles. La vue du ciel donne une dimension impressionnante à cette curiosité géologique. Ce parc est inscrit au patrimoine mondial de l'humanité et tant mieux. Cela évitera peut être à quelques promoteurs avides de construire des Disneylands.
Le petit zingue s'est posé en douceur et nous a ramené à bon port. La journée était bien remplie. Il nous restait plus qu'à prendre le bus dans l'autre sens pour rejoindre nos pénates. Crevette était heureuse de nous retrouver et Marie Alice nous attendait sagement où on l'avait laissée.
Ah Brésil, tu ne finiras pas de nous étonner avec toute cette diversité de cultures de paysages et de villages ! Aujourd'hui nous sommes partis à Raposa. Après une heure et demi de bus pris dans le centre ville de Sao Luis et une panne de ce dernier pour être transvasés dans un autre, nous arrivons à Raposa ! Quel village étonnant ! Ce sont des habitants du Ceara qui se sont établis ici après la grande sécheresse de leur état. Ne voulant pas s'intégrer à la population de Sao Luis, ils ont construit un village sur pilotis dans la mangrove et se sont reconvertis à la pêche en vivant en autarcie.
Pendant que les hommes partent en mer, les femmes brodent. C'est une spécialité totalement typique de ce village où la majorité des femmes confectionnent des tas de choses en broderie. Cela va du simple serre- tête, au- dessus de lit en passant par les vêtements. On les voit assises devant leur porte, devant un pouf en toile de jute où sont plantées des aiguilles à travers lesquelles elles passent leurs canettes de fils de coton avec une agilité hors du commun.
Le village semble être resté hors du temps. Dans le bras de rivière qui assèche à marée basse les petits bateaux de pêche locaux aux voiles et coques colorés sont posés. En face, la dune sépare le village du grand large. Sur les quais, les hommes s'activent pour déplacer le poisson dont une partie sera séchée et l'autre conservée dans la glace pilée pour être expédier à la ville. Nous nous promenons dans les rues de ce village où le temps semble s'être arrêté. Malgré nos efforts, il est difficile de passer inaperçus et inévitablement les regards se posent sur nous. Cependant les gens sont sympathiques et ne manquent pas de nous saluer d'un bom dia .
Après un repas à base de poisson et crevettes pris dans une lanchonette au bord du quai, nous nous arrêtons vers une de ses brodeuses pour acheter quelques articles. Nathalie flashe sur un petit haut entièrement brodé. Quand on se rend compte du prix demandé (10 euros) et le temps de travail qu'il faut passer pour confectionner cela à la main, on se dit que la journée de travail ne doit pas être payée bien chère.
Nous ne pouvions pas quitter Sao Luis sans aller voir Alcantara. Complètement à l'autre extrémité de la baie, Alcantara est resté authentique. Nous pouvons accéder à ce village seulement à marée haute et nous avons préféré pour s'y rendre prendre le bateau qui fait la ligne. C'est un vieux rafiot qui pisse la rouille et qui fume comme une locomotive. Ce bateau accoste sur la plage à coté de nous.
Nous embarquons avec les autres passagers. Le temps est gris et la marée est très basse. Une marche arrière puissante fait trembler le navire de toutes les tôles et nous nous engageons dans le chenal de sortie. Je suis curieux de voir par où il va passer pour pouvoir en faire autant lorsque nous sortirons de ce labyrinthe. A l'avant un équipier sonde avec une grande perche en bois le fond et donne la direction au pilote. Le bateau se pose régulièrement sur le fond. Nous sentons les secousses mais le pilote réussit à chaque fois à se dégager. C'est assez drôle de voir avec quoi ces marins naviguent. A l'intérieur du poste de pilotage il n'y a aucun instrument électronique. Un sondeur et un GPS seraient quand même bien utiles pour connaître le niveau d'eau qu'ils ont sous la quille et savoir se repérer en cas de brume. Le plus cocasse c'est de voir les deux compas en face de la barre. De la façon qu'il se regarde ils doivent se perturber l'un et l'autre et donner un cap des plus fantaisiste. De toutes façons je ne suis par certain que le capitaine sache lire les instruments. Il fait cette ligne tous les jours et connaît le chemin par cœur.
Au bout d'une heure et demie nous nous engageons dans le chenal d'arrivé qui mène au ponton d'Alcantara. L'armée a installé ici deux immenses pontons en ferraille qui coulissent sur des pylônes en béton. Sortis du quai, nous sommes face au village avec une grande rue pavée qui semble monter dans le centre de la citée. Ici le temps n'existe pas. Les façades défraîchies sont couvertes des azulejos du temps de la colonisation portugaise. De vieux comptoirs ainsi que de vieilles boutiques vendent des articles les plus divers, nous pouvons imaginer la vie de ce village au temps de sa splendeur. Lorsque nous arrivons en haut de la rue pavée une immense place s'ouvre à nous avec le reste d'une façade de cathédrale. Tout autour ce sont d'anciennes demeures coloniales qui bordent cette place. Leurs azulejos sont défraîchis et leurs façades souvent noircies. Certains toits ont été colonisés par des végétaux. Il y a peu d'activité et le village semble avoir été figé au dix-huitième siècle.
La visite du village se fait assez vite. Les bâtiments bénéficient d'un programme de restauration financé par des fonds internationaux. De plus, non loin de là, est installé la base de lancement de satellite du Brésil. Je pense que l'armée contribue aussi à la sauvegarde de ce patrimoine culturel. C'est un ravissant village au charme suranné. A coté des maisons coloniales la végétation tropicale est exubérante. En toile de fond l'océan Atlantique.
Avant de repartir nous nous sustentons dans un des rares restaurants typiques du village. Nous mangeons sous un toit de palme devant une fresque murale représentant le village. Le cuisinier met tout son talent de décoration pour nous présenter ses plats sur des feuilles de bananiers.
A la fin du repas il est temps de repartir car le Bahia star (tel est le nom du bateau) ne nous attendra pas. Ici la vie est calquée sur l'annuaire des marées.
Nous rentrons sur notre bateau, heureux de cette nouvelle découverte. Je pense qu'une vie ne serait pas suffisante pour découvrir ce pays aux milliers de facettes.
A présent il va falloir faire les papiers officiels pour sortir du Brésil. Nous ferons notre sortie à Sao Luis pour la Guyane et nous nous arrêterons clandestinement aux îles de Lançois. De toutes manières depuis que je suis au Brésil je n'ai jamais vu un bateau se faire contrôler. Les formalités d'entrée et sortie du territoire sont tellement pénibles, que nous essayons de les simplifier au maximum.
Nous lèverons l'ancre le mercredi 6 mai à marée haute en direction du nord pour la Guyane avec une escale aux îles de Lançois.
C'est vrai que la navigation dans ce nord du Brésil ne présente pas des difficultés majeures. Cependant la pluie tropicale incessante, l'absence de vent ou les vents dans le nez, les courants souvent contraires et le manque de profondeur près des côtes finit par nous user le moral. Pour finir le tableau à peine sommes-nous arrêté plus d'une semaine dans un coin que la coque de la belle Marie- Alice est squattée par les coquillages.
Le départ de Sao Luis n'a pas été une sinécure. Nous avons bien contourné le banc de sable qui barre la passe mais à peine arrivé dehors, un courant de trois nœuds dans le nez nous ralentissait considérablement. Nous sommes partis une heure avant l'étale de haute mer, ce qui est la règle de sécurité au cas où on s'échoue. Il fallait donc à présent attendre la renverse pour que le courant nous expulse de cet estuaire immense.
Il y a des moments où quand la mer décide de vous contrarier (et je suis poli !), tous les moyens sont bons pour cela. C'est ainsi que lorsque la renverse de courant est arrivé pour nous pousser dehors, un vent de 15 nœuds de face accompagné d'un clapot s'est invité à la fête. Il a donc fallut tirer des bords pour sortir de cet endroit maudit.
Nous nous étions dit que pour faire les 100 miles qui nous séparent des îles de Lançois, 20 heures seraient largement suffisantes. Erreur ! Ce calcul faisait abstraction des coquillages sous la coque des courants contraires et de l'absence quasi totale de vent. C'est ainsi que 25 heures après nous approchions de ces fameuses îles.
Il faut croire que la nature est bien faite. Elle sait se protéger des intrus et les coins de paradis doivent se mériter. L'approche de la passe se fait avec un courant impressionnant qui nous pousse dans cet entonnoir. Autour de nous l'eau bouillonne en dessinant des volutes délimitant les forces de courant. Le paysage est splendide. Aucune construction n'est venue troubler la splendeur de ces lieux. Les dunes de sables alternent avec d'autres colonisées par la végétation tropicale. Au milieu, la mangrove habitée par des milliers d'oiseaux fait le trait d'union.
La carte est assez précise et je retrouve au sondeur les mêmes lignes de sondes. Nos amis Luc et Nelly sur leur énorme cata nous ont précédés de plusieurs heures. Lors de nos liaisons radio, ils m'ont donné les instructions pour l'entrée et la position de leur mouillage. Nous nous avançons dans ce delta immense sans trop de difficulté. Nous apercevons l'énorme dune qui devrait logiquement masquer Aphrodite. C'est en la contournant largement que nous apercevons nos amis ancrés devant un minuscule village de pêcheur dans ce bras de mer au milieu des mangroves.
Comme par magie le soleil s'est invité à la fête. C'est complètement féerique, nos deux bateaux sont immobiles solidement mouillés. Devant nous une minuscule dune où sont plantées quatre ou cinq cabanes de pécheurs sur pilotis faites de bois et de palmes. Leurs petites barques sont attachées devant la plage à des piquets. Nous n'osons plus bouger de peur de troubler cette quiétude surnaturelle.
Nous irons à terre seulement demain afin de ne pas brusquer les choses et laisser du temps pour essayer d'apprivoiser ces lieux qui ne doivent pas souvent voir des voiliers dans leurs eaux.
Dans ce village il n'y a pas d'électricité et aucune commodité. Nous les observons de loin en essayant de ne pas les déranger. Nous passerons la soirée sur Aphrodite et la ca&iunl;pirina sera le réconfort après cette étape longue et pluvieuse. Nous avons dormis d'une seule traite d'un sommeil réparateur et au petit matin le soleil était là avec un paysage qui nous laissait sans voix.
Nous décidons de débarquer et prendre contact avec les pêcheurs. Crevette est heureuse de se dégourdir les pattes sur la plage mais nous la surveillons car une meute de chiens garde les cabanes. Le bom dia d'usage est accueilli avec le sourire. Nous essayons de communiquer. Ils nous posent beaucoup de questions que nous ne comprenons pas toujours. Mais lorsque nous leurs disons que nous sommes Français, ils nous parlent de Zidane. Le contact est établit et nous leurs achetons des crevettes pour le repas de midi.
Pour la petite histoire comme tout le monde le sait, la deuxième religion du Brésil est le foot. Apres la coupe du monde de 98 et l'élimination par la France du Brésil en quart de finale lors de la dernière coupe du monde, Ils ont baptisé Zidane le Bourreau du Brésil
La marée basse découvre une infinie plage de sable blanc bordée par les dunes à perte de vue. Nous ne résistons pas à l'envie de se baigner dans cet endroit désert. Nous avons l'impression de vivre le fantasme de Robinson Crusoé. C'est après une marche d'une heure et demi dans se sable immaculé que nous rejoindrons nos bateaux pour le repas.
Cet Après-midi nous iront en dinghy visiter le village voisin. Le va et vient des quelques lanchas nous indiquent la direction.
A seulement 2 milles au détour d'un méandre, nous apercevons ce village. Les lanchas et les barques de pêches sont échouées sur la plage. Une ou deux vaches ainsi que quelques chèvres broutent l'espèce de lichen qui pousse entre les marées. Le village a l'électricité depuis seulement deux ans grâce à une technologie alternative sur une base d'éolienne. Il est composé de petites maisons de planches au toit de palmes. Les habitants sont charmants et nous trouvons même deux boutiques où il n'y a quasiment rien à acheter. Après avoir discuté avec les pêcheurs, nous décidons de venir mouiller devant ce petit paradis.
Le courant des marées est assez fort (au moins 4 nœuds) et il me faut bien mes quarante mètres de chaînes pour mouiller correctement la belle Marie-Alice. Demain matin nous explorerons un peu mieux ce village.
Nous nous réveillons avec le soleil. (Une fois n'est pas coutume !) Le paysage change complètement. Du bateau nous voyons les petites maisons colorées qui tranchent sur le sable blanc de la dune. Au loin le bras de mer donne sur le large. Nous apercevons et entendons les brisants. Le temps s'est arrêté ! Nous nous promenons sur la plage et traversons ce village. Les habitants nous observent un peu comme des extras terrestres.
Au fil de notre promenade nous rencontrons un Français qui est venu se perdre ici en vacances. Il parle couramment le portugais et nous sert vite d'interprète avec la population locale. Il est venu ici avec un couple de Brésilien dont la femme est médecin. Cette dernière est missionnée par l'état pour venir faire le tour des dispensaires afin de répondre aux besoins de santé de la population. Nathalie en profite pour faire voir ces petites taches blanches dans le dos qui l'inquiète. Rien de grave ce sont des petits champignons que l'on attrape sous les tropiques et la pommade donnée par le docteur devrait en venir à bout en quelques semaines.
En dépassant le village nous marchons en direction des dunes qui nous séparent de la mer. Le paysage est idyllique. Lançois en portugais veux dire drap. C'est pour cela que nous avons l'impression que dame nature a posé un drap immaculé sur ce petit coin du Brésil. Les dunes renferment des petites étendues d'eau douce alimentée par les pluies. Nous nous baignons dans plusieurs d'entre elles où l'eau reste fraîche. Cela est agréable par rapport à l'eau trop chaude de l'océan. Demain nous irons visiter l'autre petit village qui fait face à celui là sur l'autre méandre.
Nous sommes le 9 mai 2009 et c'est mon anniversaire. Luc et Nelly m'avaient réservé une petite surprise avec une fête improvisée dans l'immense cockpit de leur cata. Tout y était avec le gâteau et les bougies. Pour l'occasion j'avais sorti la dernière bouteille de champagne qu'il me restait au fond des cales. La soirée fut bien arrosée et je dois reconnaître que ce fut un des anniversaires les plus exotiques que j'ai vécu.
Le lendemain matin nous partons en expédition pour découvrir le village d'en face accessible qu'à marée haute. Cela parait plus vivant. Les maisons sont plus colorées et semblent disposées dans une logique plus urbaine. Les battisses bordent des rues de sable. Au centre une chapelle constitue le centre du village. Un filet de volley-ball a été dressé au milieu de la route et deux équipes s'y affrontent. Nous rentrons dans une échoppe sombre. Il N'y a pas grand-chose à vendre ici ! Plus loin nous rencontrons trois papys qui nous racontent l'histoire de ce Français qui est venu ici en voilier et qui n'est jamais reparti. Il est mort avant cela. Ils nous font visiter l'épave de son voilier qui sera le dernier témoignage de son passage dans ce coin du bout du monde.
Après ces moments de recueillement sur l'épave de notre compatriote mort dans ce coin oublié, nous décidons de partir à la découverte des méandres de la mangrove en dinghy. Nous glissons dans cette nature sauvage sur ces canaux lisses. Aux détours des lacets des oiseaux s'envolent. Les bancs de poissons à gros yeux sautent dans tous les sens sous nos étraves. Nous cherchons le passage pour aller voir le phare abandonné. Finalement au bout de plusieurs essais dans différents canaux de la mangrove nous abandonnerons.
Le coin est magnifique mais il faut penser à rentrer. Ici c'est magnifique mais les vivres diminuent et il n'y a rien à acheter dans ces villages. De surcroît, il faut que je trouve du gasoil en vue de ma prochaine étape qui nous conduira à Cayenne car ce coin du Brésil ne reçoit pratiquement pas de vent et les courants ne sont pas toujours favorables. Si je veux m'arracher de ce coin certes merveilleux il va falloir que je fasse des réserves de carburant.
Le problème est complexe. Le seul endroit où trouver du gasoil est le petit bourg qui se trouve à 16 milles et qui répond au nom de Picassu. C'est impossible d'y aller avec mon bateau car la baie n'est pas assez profonde et assèchée à marée basse. Alors la seule alternative qui reste, c'est de trouver un bateau local qui y va et voudra bien me charger avec mes bidons.
Le portugais n'est pas une langue facile. A lire il ressemblerait un peu au Français mais à entendre ou à prononcer c'est complètement mission impossible. Nous avons eut toutes les difficultés du monde pour faire comprendre au gens que nous cherchions un bateau pour aller à Picassu. De plus l'idée de voir un gringo prendre ces embarcation de fortune leurs paraissaient complètement incongru. Il était pourtant vital pour nous, vu les conditions de vents et de courants de ce coin paumé, de trouver du gasoil pour m'arracher et rejoindre Cayenne. Le lendemain fila sans que nous entrevoyions une solution. Je commençais à angoisser, comment va-t-on faire ? C'est lorsque nous nous n'y attendons le moins que la providence nous sourit. Je finis par trouver une lancha qui voulait bien m'emmener. Le capitaine se proposa de venir me chercher sur mon bateau le lendemain matin à cinq heures. Enfin j'entrevoyais une solution à mon problème.
Quand les événements s'enchaînent pour compliquer votre existence, on appelle cela la loi de Murphy. Après mes problèmes de groupe électrogènes, du transfo 12v 220V, de Pc et de GPS . (Les accessoires du bateau avaient décidés de se déglinguer un a un dans ce coin perdu), c'était le tour de Nathalie. Elle était attaquée par une fièvre de cheval suite à une infection! Ce n'était vraiment pas l'endroit pour tomber malade. Distant de plusieurs jours d'un centre de santé cela devenait compliqué. Sa jambe avait doublé de volume et nous commencions à être sérieusement inquiets. Bien sur, le médecin que nous avions rencontré était reparti. Il nous restait plus que la consultation par téléphone grâce à notre téléphone satellite. Nous avons téléphoné à un ami médecin de Nelly qui a fait une prescription avec les médicaments de notre pharmacie de bord. A présent il fallait attendre pour voir l'évolution.
Le lendemain matin à 5 heures comme c'était prévu, la lancha du pêcheur venait me chercher pour aller à Picassu. J'embarquai avec mes bidons en ne sachant pas exactement quand je pourrais revenir. Je savais que Luc et Nelly allaient s'occuper de Nathalie. Ce besoin de Gasoil était vital pour toute action. Ces 5 mois au Brésil m'ont appris à connaître un peu les us et les coutumes. La notion du temps n'est pas la même que chez nous et mania ne veux pas dire forcement demain. Les gens ici sont charmants et ne veulent jamais dire non ou je ne sais pas, de peur de faire de la peine. Cela se traduit par une impossibilité d'avoir une information crédible. Il faut donc s'en remettre au destin ou, comme on dit ici Grâce à Deus .
Je me glisse sous la bâche tendue sous la bomme qui nous abrite de la pluie. L'embarcation ne doit pas faire plus de 9 mètres. Ces bateaux sont chargés à mort. Nous nous retrouvons une douzaine de personnes à partager l'espace réduit au milieu des filets et des colis. Heureusement que nous sommes dans un golf fermé car je ne suis pas certains que ce type d'embarcation résisterait à l'assaut d'un clapot soutenu. Le moteur diesel s'élance dans un toc toc toc assourdissant. Le bateau s'ébranle. Il est tellement bas sur l'eau qu'il suffit de glisser la main par-dessus le franc bord pour toucher l'eau. Tant bien que mal tout en roulant doucement bord sur bord, nous arrivons trois heures plus tard au petit bourg de pêcheurs.
Il n'y avait que le capitaine pour trouver le chemin. Dans le coin de ce golf immense nous pénétrons dans une trouée de la mangrove où coule un bras de rivière. Nous remontons doucement ce bras d'eau bordé du rideau vert de la végétation. A notre passage des oiseaux s'envolent et au détour d'un méandre nous apercevons Picassu. .J'ai l'impression d'être dans un autre monde projeté dans un film d'aventure des années soixante. Les lanchas s'agglutinent sur le petit quai du bourg dans un désordre indescriptible. Notre capitaine à décidé de se poser contre un autre bateau et de s'arrêter là. J'enjambe les colis avec mes jerricans puis traverse le pont de l'autre bateau pour finalement réussir à me hisser sur le quai.
Ignacio qui m'avait accompagné me demande de l'attendre sur le quai avec les bidons le temps qu'il se renseigne. Pendant son absence j'ai le temps d'observer les scènes de vie dans ce petit port du bout du monde. Les habitants et les commerçants sont venus à la rencontre des pêcheurs pour leur acheter le produit de leurs pêches. Les discussions sont animées et les caisses de poissons pesées à l'aide de balance romaine changent de mains. Autour de moi les bâtiments sont noirs bouffés par l'humidité. La chaussé est défoncée et quelques 4X4 viennent s'y risquer. Mais c'est surtout les charrettes avec des ânes et les motos taxi qui compose l'essentiel du trafic.
Ignacio revient. Il a trouvé un autre bateau pour revenir aux îles de Lançois qui part dans une vingtaine de minutes. L'occasion est inespérée de faire cet aller retour dans la journée. Il faut absolument trouver le gasoil et repartir aussi tôt. Si la vieille pompe de la station de carburant du quai avait fonctionné, cela aurait été trop simple. Mais lorsque j'interroge le gars apparemment employé pour cette tache il m'explique qu'il n'y a plus de gasoil mais que je pourrais en trouver un peu plus loin.
Nous partons à la recherche du précieux liquide sans résultats. Finalement au bout de la troisième personne quelqu'un nous indique un dépôt de carburant à 6 km de la ville. Nous n'avons pas d'autre choix que de prendre les motos taxi. De plus si nous voulons arriver avant que le bateau qui doit nous ramener largue les amarres, nous avons intérêt à nous presser. Nous voilà partit Ignacio et moi en passager de ces petites motos taxi sur les pistes défoncées du bourg avec nos bidons sur les genoux. Les trous de la piste sont énormes et plusieurs fois nous avons à passer de guets. La situation est Ubuesque. Cela en est même comique. Finalement au bout d'un quart d'heure de chevauchée extraordinaire nous arrivons devant un entrepôt ou nous trouvons enfin notre carburant. Au fond d'une arrière cour le préposé transvase le liquide de deux futs de deux cents litres dans nos jerricans.
Maintenant il nous faut retourner au port sur cette piste défoncée mais à présent avec deux jerricans de 25 litres chacun cela complique la situation! Nous décidons dans la foulée d'embaucher deux autres motos taxi pour alléger notre charge. Tout en slalomant entre les trous et les guets le jeune chauffeur me pose des tas de questions sur mon voyage. Je suis plus ou moins rassuré et le motive afin qu'il ne quitte pas la piste des yeux. Nous arrivons finalement sans complication sur le quai où le petit bateau qui devait nous ramener patiente. Il n'attend plus que nous pour appareiller. Nous chargeons et sautons dans l'urgence dans le frêle esquif sous l'œil du capitaine pressé par la marée. Il est 15 heures et je suis enfin de retour au bateau.
Nathalie n'est pas très en forme. Je suis assez inquiet mais il faut partir de cet endroit pour rejoindre la civilisation. Avant de partir il faut que je m'astreigne à la corvée du carénage. Le jeu consiste à plonger en apnée autour du bateau et essayer avec une truelle de décoller les coquillages de la coque. C'est opération est assez longue et j'arrive au bout de plusieurs heures de nettoyer à peu prés la coque sans avoir le temps de faire la quille.
C'est décidé demain matin à marée haute nous appareillerons pour Cayenne.
Il pleut et le vent n'est pas là. Le plein de carburant a été fait et nous sortons doucement de la baie de Lançois. Le courant de la marée descendante nous pousse et bientôt, c'est 3 nœuds de courant dans le cul qui vont nous expulser hors de cette zone nous ne sommes pas très loin du delta de l'amazone. Les fonds sont très peu profonds et nous subissons de grosses perturbations de courant et de vent dues à la proximité du plus grand fleuve du monde. Le choix de route qui s'impose est simple. Il faut tirer au large pour essayer de récupérer le courant des Antilles et toucher un peu les alizés. Nous avons avancé les premiers 24 heures grâce au moteur avec une alternance de courant qui nous poussait ou qui nous retenait au rythme des marées. Il a fallut que l'on s'écarte de plus de 100 miles de la côte pour nous retrouver dans la ligne des 100 mètres de profondeur pour commencer a toucher du vent nord est et du courant favorable. Ce n'est qu'au deuxième jour que nous avons pu nous passer du moteur poussé par l'alizé avec un courant constant de deux nœuds qui nous emmenèrent au nord. L'état de Nathalie restait stationnaire et Marie Alice nous conduisait gentiment vers Cayenne sans trop nous bousculer. Plus les jours avançaient plus les milles défilaient rapidement. Le courant et le vent portant étaient de plus en plus présents. Les derniers 24 heures furent assez surprenant et c'est 3 nœuds et demi de courant qui nous poussaient nous faisant atteindre des vitesses de fond de 8 nœuds.
C'est au bout de cinq jours que nous sommes arrivés en vue de Cayenne au bout des 700 milles de l'étape.
Le port de Degrades de Cannes se trouve au bout d'un long chenal balisés qui nous mène dans le Mahury. Lorsque nous arrivons à Cayenne, nous passons devant plusieurs petites iles facilement reconnaissables. C'est en contournant la mère juste avant le père que le chenal du port débute. Un fort courant traversier nous fait avancer en crabe. Il faut viser les bouées tribord du chenal pour éviter de se faire embarquer. Enfin au bout de 6 milles de ce chenal nous arrivons en vue des pontons du port de plaisance de Cayenne. Ça y est nous sommes arrivés, nous sommes en France, Nathalie va pouvoir se faire soigner et je vais pouvoir réparer toutes les petites choses qui ne fonctionnent plus.
A l'arrivée Luc et Nelly nous prennent les amarres et demain mon ami d'enfance vient nous chercher. Nous allons pouvoir poser notre sac à terre pour quelques semaines.