website logo
Auteur
avatar
Non enregistré

Forum » » La Taverne du port » » Joshua Slocum


Posté : 25-08-2008 icone du post

Un extrait que j'ai trouvé sur le web :

Vers minuit, la brume retombe plus dense que jamais, une vraie purée de pois. Elle se maintient ainsi pendant de nombreux jours, cependant que le vent force. La mer est très forte, mais mon navire est solide. Pourtant, dans cette brume sinistre, je me sens dériver dans la solitude, insecte perdu sur son fétu de paille au milieu des éléments. J'amarre la barre et mon bateau tient son cap et tandis qu'il poursuit sa route, je dors.
Pendant ces jours-là, un sentiment de terreur m'envahit. Ma mémoire fonctionne avec une précision étonnante. Mauvais présages, petits riens, choses grandes et petites, merveilleuses ou ordinaires, tout défile dans mon esprit en une suite magique. Des pages entières de son histoire me reviennent, oubliées depuis si longtemps qu'elles semblent appartenir à une existence antérieures. J'entends toutes les voix du passé rire, pleurer, raconter comme je les ai entendues dans bien des coins du monde.
L'isolement de ma situation s'efface quand le coup de vent est au plus fort et que je me trouve avec mille choses à faire. Avec le beau temps, revient la solitude dont je ne peux me dégager. Je donne souvent de la voix, d'abord pour lancer des ordres de manœuvre, car on m'a dit qu'à ne jamais parler, j'en perdrais l'habitude. Quand le soleil passe au méridien, je lance tout haut Piquez huit ! comme on le fait sur tout navire en mer. De la cabine, je crie à l'adresse d'un barreur imaginaire : Quel cap ? et encore : Tient-il la route ? Mais l'absence de réponse me rappelle plus nettement ma situation. Ma voix sonne creux dans l'air vide et j'abandonne cette habitude. Assez vite, la pensée me revient qu'étant enfant, je chantais ; pourquoi ne pas essayer à présent, où cela ne dérangera personne ? Mon talent musical n'a jamais provoqué l'envie de quiconque, mais en plein Atlantique, pour comprendre ce que cela veut dire, il faudrait que vous m'entendiez. Vous verriez les marsouins sauter lorsque je mets ma voix au diapason des vagues et de la mer et de tout ce qu'il y a dedans. De vieilles tortues avec leurs grands yeux sortent la tête de l'eau quand je chante […]. Mais dans l'ensemble, les marsouins sont beaucoup plus sensibles que les tortues ; ils sautent beaucoup plus haut. Un jour où je fredonne un de mes airs favoris, […] l'un des marsouins sautent plus haut que le beaupré. Si le Spray avait marché un peu plus vite, nous m'aurions embarqué. Les oiseaux de mer volent, timides, autour de nous.


p. 48






Cet article provient de Infocapagde
https://www.infocapagde.com/viewtopic.php?topic=377&forum=11